Francoise Frugier, sculpteur

...comment ne pas souligner aussi l’excellente « animalière » qu’est Françoise Frugier ! Après Pompon, Paul Simon, Mateo Hernandez et bien d’autres, le Salon d'Automne s’honore de la compter au nombre des imagiers sachant mettre en scène nos derniers grands mammifères en liberté ! Et ce n’est pas sa moindre qualité que d’avoir organisé, notamment par le biais des Sumos, la réconciliation entre l’homme et la bête...Elle seule aura su confondre le règne animal et le règne humain dans un tel élan de tendresse bouleversante ! Dès lors, les « Corps à corps » témoignent de bien autre chose que des corps enlacées. Le sculpteur pétrit sa matière à même la chair de l’humanité. Et si les œuvres provoquent ainsi l’émotion du spectateur, c’est qu’elles répondent pour l’artiste à une nécessité aussi impérieuse que contagieuse…

Noël Coret
Ecrivain d’Art
Président du Salon d'Automne - Paris

 

 J’ai vu au Japon, dans une station de métro, un sumo. Mais cet homme-montagne (qui nous surplombait tous, grands et petits) ne m’a pas beaucoup intéressé. Si j’y repense aujourd’hui, c’est à cause de Françoise Frugier. La première fois que l’œuvre de cette sculptrice m’a inquiété de manière que je suis entré en dialogue avec ses statues, je rêvais du rituel qui, à mon avis, préside à la mise en œuvre de l’imagination créatrice. Cette imagination, me semble-t-il, n’agit que si l’on revit sa naissance et sa gestation, à travers tout un système de symboles et d’opérations quasi magiques. La première de ces opérations est de se replonger dans l’âge le plus proche de la naissance et de la gestation, c'est-à-dire dans l’enfance. Or, quand je mis le pied (ou l’œil) dans le Furgier-land, j’y rencontrai des enfants. Des enfants malheureux pour la défense et le salut desquels Frugier militait. L’enfant – indépendamment de sa localisation sociale – est malheureux ou, du moins, démuni. C’est ce qui nous permet en le voyant de nous introduire dans la période gestationaire, dans un des aspects de la condition fœtale. Car le fœtus est sourd, aveugle, prisonnier, impotent et porté comme l’enfant très petit. Mais, en contre-partie, l’enfant et le fœtus sont rois, voire dieux. En tous les cas des personnages importants, de grosses dames, de gros messieurs. De cette grosseur témoigne la grosseur maternelle et la symbolise toute grosseur – celle de l’éléphant à laquelle s’est intéressée Frugier – et celle des personnes obèses, à laquelle notre artiste s’est intéressée également et qui lui a donné la clef grâce à quoi s’est ouvert pour elle le domaine de ces prodigieux lutteurs japonais : les sumos. Au moyen des sumos pour moi se commémorent deux évènements insignes de l’existence fœtale : la croissance prodigieuse – si nous continuions à grossir après avoir vu le jour comme le fait le fœtus nous deviendrions gros comme des montagnes (aussi n’est-ce pas par hasard si je perçois dans les sumos, en exagérant quelque peu, des hommes-montagnes) – et, d’autre part, le moment ultime de la vie intra-utérine. Les lutteurs sont enfermés dans un cercle comme dans un ventre maternel. Or, il s’agit que l’un des deux fasse sortir l’autre de ce cercle. Et cette expulsion m’apparaît aujourd’hui comme le symbole de la naissance.

Yvon Taillandier

 

 

Dans ses premières sculptures, Françoise Frugier a commencé par nous montrer les enfants de la guerre, elle semblait nous dire comme Pablo Neruda : « Venez voir le sang dans les rues ». Elle nous a montré des hommes et des femmes momifiés, enveloppés dans des voiles, cloués à leurs petites voitures et mesquineries. Mais comme le dit Sarah Kaufman : « Rares sont les femmes qui échafaudent des systèmes, le système étant ce qui mime la paranoïa masculine ». Ici Frugier nous revient avec une boulimie pour la vie, pour les formes truculentes. Voici les grosses que la société crée et qu’elle tolère si mal. Non pas le « bon gros », mais le gros, sans clin d’œil, sans mièvrerie, sans séduction, mais non sans amour. Comme toujours chez François, il s’agit d’un travail documenté, réfléchi, qui se fonde sur une idée simple : l’extérieur d’une forme est le produit d’une architecture interne : ligne, os et muscle ; et que la forme la plus enrobée se tient. Une fois de plus le sculpteur répond à la destruction du monde, et de la forme, pour sa restitution. La sculpture transforme un objet en présence et nous pose cette question : peut-on se passer d’une présence qui dérange ?

Lucien Chaby

 

 

Grosseur et mystères de la création

    Françoise Frugier est une artiste dont la sensibilité exacerbée lui a toujours permis de transcrire dans son œuvre les émotions ressenties aussi bien face aux multiples et graves problèmes de société et du monde que face aux simples aléas d’une existence féminine et créatrice.   Ainsi les sculptures de la fin des années soixante-dix, composées de personnages et d’enfants grandeur nature, sortes de gisants s’agglutinant au sol et enchâssés dans un voile mortifère de résine, n’étaient-ils pas sans rapport avec les charniers découverts à cette époque dans les terres du dictateur centrafricain Bokassa. De même les hauts reliefs montrant d’autres humains fouillant dans des poubelles avaient-ils à avoir avec les famines monstrueuses qui décimèrent dans les années autre-vingt des populations entières au Biafra ou au Sahel. D’autres encore, semblant s’enfoncer dans la résine les constituant, étaient comme des métaphores des sociétés du tiers-monde que l’Occident laisse s’enliser dans la misère. Tous ces personnages aux formes simplement suggérées sous des tissus imprégnés de résine, ne faisant que mieux désigner dans leur non individuation la situation dramatique de l’homme asservi, en général.   Mais si la sensibilité d’un artiste peut passer par le ressenti du monde pluriel, elle doit passer aussi nécessairement par le contact singulier avec la matière, par la recherche formelle, et donc par l’esthétique. C’est pourquoi dans le même temps, l’attente d’une naissance va permettre à cette jeune artiste/femme, d’abord de découvrir la possibilité d’une esthétisation de cette grossesse en particulier, et de la grossesse en général, ensuite de ressentir la nécessité d’en exprimer la beauté formelle.   Evidemment le rapport entre l’obésité des gens des pays riches, l’apparence gonflée des ventres de ceux des pays ravagés par la famine et la grossesse-enfantement, fut-il vécu comme problématique à ce moment. Mais ce questionnement sera judicieusement transcendé par un investissement plus direct à la créativité et à la forme. La terre, matériau mythique de la création divine et matériau éternel de la création artisanale et artistique va donc logiquement s’imposer à Fugier comme élément tactile nécessaire à cette nouvelle malléabilité formelle. Dans cette quête de plénitude de la forme, il ne sera donc pas étonnant que les personnages réalisés alors acquièrent des courbes éloquentes et des allures généreuses.   Mais malgré la sérénité apaisante de ces opulents modelages, la rigueur de Frugier ne pouvait se contenter de telles formes relativement lourdes et inertes alors que ce que cette artiste recherchait dans ces rondeurs fécondes, c’était au contraire la vitalité.   Le hasard de la vision de documents concernant les sumotori, puis leur venue triomphale à Paris, apporteront la solution formelle à cette interrogation en l’orientant vers la représentation de ces demi-dieux japonais.   En effet, malgré leur taille et leur poids énorme (jusqu’à deux cent cinquante kilos !), leurs rondeurs phénoménales et leur apparente lourdeur, ces lutteurs possèdent une légèreté, une agilité, une souplesse (ils sont capables de faire le grand écart facial !), une rapidité de mouvements, une grâce même, absolument incroyables.   La représentation de ces sumotori dans leurs étranges attitudes ritualisées sera donc l’expression enfin réalisée ( par la terre, le bronze, le dessin, …)de cette problématique de la réconciliation des contraires. Tout comme le sera celle d’animaux comme l’ours, l’hippopotame ou l’éléphant, puisque, dans leur genre et leur milieu propre, ceux-ci possèdent aussi, malgré une identique apparence balourde, les mêmes qualités de force tranquille et d’invraisemblable vélocité.   Ainsi à travers l’immobilité tellurienne de ses nouvelles sculptures humaines ou animales, Françoise Frugier a-t-elle su entrevoir et saisir le mystère de la vitalité (du latin vita = vie), donc en fait, de la création. Dans tous les sens du terme.

François Parent

Critique d'Art (Membre de l'A.I.C.A.)

 

Quand l’artiste saisit et traduit l’instant d’équilibre pour le sublimer, il offre au spectateur par son œuvre, dans une relation émotionnelle un mode de compréhension et d’accessibilité au fond par la forme.Ainsi, François Frugier fixe-t-elle ses Sumos campés unijambistes où le poids en mouvement nous laisse en attente de nouvelles postures. L’artiste, dans son « arrêt sur image », énonce en hypothèses les parcours à venir.

 Marc Jitiaux, créateur, designer

 

Toscane… toscanes

Françoise Frugier, sculpteur, sait mieux que quiconque, parmi les artistes d’aujourd’hui montrer les rondeurs alliées à la force : les amateurs et les collectionneurs se pressent à chacune de ses expositions parce qu’ils sont fascinés par la force mystérieuse, car intérieure, qui émane de ses sculptures de sumotori.Françoise Frugier, peintre, est attirée depuis plusieurs années par les lignes et les courbes envoûtantes des collines toscanes, par la lumière changeante, si subtile, de cette terre à chaque heure du jour. Ses aquarelles qui portent à la rêverie en sont imprégnées.Depuis longtemps, le peintre cherchait en elle à retrouver le sculpteur, Frugier méditait quelques bas-reliefs qu’elle aurait peints, et, voici quelques temps, peu après son dernier voyage en Toscane, l’été 1998, l’idée de ces aquarelles toscanes aux formes et aux reliefs féminins a surgi et s’est imposée.Dans son imaginaire, au lever du jour, à midi, au crépuscule, la Toscane a engendré les toscanes de chair, de rêve, d’ombre et de sang.Et cela opère à merveille.On ressent la pulsation de cette terre magique qu’a chantée la langue divine de Dante.Le spectateur est attiré et saisi par un charme. Ce charme est lié au mystère poétique et à la force suggestive de ces aquarelles aux reliefs de chairs et d’ombres des vallons de Toscane.La force chtonienne, les chairs telluriques y sont magnifiées par les couleurs du jour et de la nuit.Et il en est bien ainsi, puisque l’artiste visionnaire a décidé avec audace et simplicité à la fois de pendre ces toscanes aux chairs blondes, aux courbes mauves ou fauves, qui, selon les heures, s’étendent, apparaissent ou reposent dans le lointain, prêtant leurs formes aux sommets des collines dont les flancs par contraste sont délimités par les frêles verticalités presque asiatiques des cyprès.Françoise Frugier, ici à la fois peintre et sculpteur, nous fait passer dans une autre dimension. Son coup d’essai est un coup de maître.Les sculptures de danseuses, les autres aquarelles, devrait-on dire plus familières, qui font contrepoint aux œuvres évoquées, donnent par ailleurs toute la mesure de son talent.

Sylvie Clancier